Histoire
"Je veux pas y aller ! Laissez-moi ! Laissez-moi partir ! Pourquoi aller là-bas pour maitriser un pouvoir débile qui m'aura tué avant que je devienne un adulte ?! Pourquoi apprendre si je ne ferai jamais rien de ce que j'ai appris ?! Laissez moi crever là, tuez moi, mais ne m'envoyez pas là-bas, par pitié !
- Écoute Ivy... Tu es trop jeune pour parler de mourir. Tu n'es qu'un enfant. Ivy, tu as trop souffert, on ne peut pas te laisser comme ça.
- Je m'enfuirai alors !
- Je leur ai demandé de te surveiller. Ils ne te laisseront pas partir.
- Pourquoi...?
- Arrête de réfléchir Ivy, et profite de la vie qu'il te reste."
*-*-*-*-*-*-*-*
Ivy, c'était le petit bébé indésiré né avec deux mois d'avance, d'une maman trop jeune pour le devenir. Peut-être qu'on ne voulait pas que maman s'occupe de son petit, car papa a considéré qu'ils avaient trop de soucies financiers pour s'occuper de leur enfant, et il s'est sauvé avec le bébé sans en parler à la mère. Ce qu'il en a fait ? Il l'a vendu. Pour se faire de l'argent. Parce qu'outre le commerce d'organes, le commerce de bébé, ça marchait bien aussi. Et l'orphelinat, ça aurait fait père indigne, il aurait dut remplir des papiers, et il ne voulait pas ça. Lui, ce qu'il avait voulut, c'était du cash, du cash, en échange d'un humain.
Ivy, ce n'était alors plus un humain. C'était une chose, un outil. Une table, une chaise. On pouvait le vendre, l'utiliser. Il n'avait pas de nom, parce qu'il n'en avait pas besoin. C'était une chose, c'est tout.
Si la mère a cherché à retrouvé son enfant ? Certainement. Mais les gens, ça bouge, et son enfant, il était déjà trop loin d'elle. Et puis, un an après cette disparition, elle est morte dans un accident de train. Quand au père, il s'est évaporé. Ça commençait vraiment bien...
Peut être bien qu'il avait trois ans, voir quatre ans à cette époque... Tout lui paraît tellement flou encore... Et qui donc se souvient clairement de cette époque de sa vie ? Ce dont il se remémore, c'est de vastes couloirs, et d'hommes en blouse blanche, qui ne lui jetaient pas un regard, qui ne le touchaient pas, ne lui parlaient pas, et l'accompagnaient, jusqu'au bout de l'allée, terminée par une porte blanche, avec une inscription. Probablement quelque chose comme "Réservé au personnel", "Interdit aux visiteurs", ou "Interdit d'entrer", l'on suppose, vu que le petit ne s'en souvient évidemment pas. Derrière cette porte, il sait juste que "ça faisait mal", et qu'il avait eu "très froid". D'ailleurs, il ne se souvient que du froid, et de la douleur, d'un mal être certain, remontant à cette époque.
Son premier souvenir, le plus lointain, ce sont des pièces blanches et froide, et les voix des adultes. Les cris des adultes. Et des hurlements, des hurlements, toujours. Et ses nuits, ce n'était plus que des trous noirs, des heures sans rêves, où il n'avait comme certitude que de pouvoir encore bouger et respirer...
A cinq ans, il ne savait qu'à peine parler. Il imitait parfois les mots prononcés par les hommes en blanc, qui traversaient le couloir, et passait l’entièreté de ses journées, ou presque, roulé en boule au coin de la pièce. Il ne mangeait pas beaucoup, ne réfléchissait certainement pas énormément. Son esprit était limité pour beaucoup à l'instinct de survie, et à l'imitation de ce qu'il voyait. Il n'aimait pas les hommes en blanc. Parfois, ils l'attrapaient par le bras, et serraient trop fort. Et quand l'enfant les mordait, ou les griffait, ils le secouaient, et disaient qu'on viendrait le punir. Il se souvenait de la terreur qu'il avait à chaque fois, et des sanglots, et supplications à moitié muettes dues à son manque de vocabulaire, quand l'on passait devant le lieu où il était revenu, et que les ombres dansaient sur le sol, menaçantes, comme si elles allaient le dévorer.
A ses six ans, il a commencé à quitter les couloirs. Il se souvient de la première fois qu'il a monté les escaliers pour le rez de chaussé. Il se souvient du grand monsieur à lunette, du premier homme sans veste blanche, et non masqué. Puisqu'il s'agit du premier visage qu'il ait vu, il se rappelle clairement de ses yeux sombres, de ses cheveux courts grisonnants, et de son sourire tendu, voir forcé. Il se souvient des papiers qu'il étalait devant les hommes en blanc, des papiers qui n'étaient qu'un amas de traits pour l'enfant, qui ne savait toujours pas lire.
Il a assisté à plusieurs discussions, et a apprit à retenir bien plus de mots. On parlait de lui comme un objet, une arme. On parlait de l'envoyer recruter des personnes pour leur organisation. Et puis, il y avait ceux qui le pensait encore inapte à quoi que ce soit, de par son manque de connaissance, et son intelligence réduite, et qu'il faudrait peut être s'en débarrasser. Ce à quoi certains répondaient qu'il était malgré tout l'élément le plus prometteur, car formaté pour approuver leurs plans.
Ils lui ont apprit que dans la vie, il fallait se débarrasser de certaines personnes pour le bien de la société, et qu'il devrait prêcher la bonne parole de leur organisation quand il en aurait compris les tenants et les aboutissants. Curieuses leçons, mais il n'avait jamais trouvé ça étrange dans le fait qu'on lui apprenne des choses un peu dingues qu'une secte venait d'inventer, plutôt que les couleurs et les nombres... C'était plutôt qu'il était étonné qu'on le sorte des souterrains.
Mais le gamin était décidément trop petit et faible pour leur servir à quoi que ce soit d'autre, qu'un objet d'expérience. Ou alors, ils pourraient le vendre dans un de ces pays au gouvernement foireux, qui sauraient sûrement comment user d'un enfant stupide comme lui.
Mais quand bien même ils tentèrent, l'on ne parvint pas à se débarrasser du gamin, qui commença à naturellement se poser des questions. Surtout quand on kidnappa des enfants pour retenter l'expérience avec des prototypes plus... solides ?
Intrigué par ses êtres, il tenta plusieurs fois d'échanger, quand ils étaient de retour aux souterrains. Il fut d'ailleurs vite rejeté de par son incapacité à aligner plus de trois mots.
La première personne a vraiment échanger avec lui, fut cette gamine de son âge, avec de longs cheveux blonds. Il ignorait son nom, elle était toujours cachée derrière ce qui semblait être son grand-frère. Bien qu'elle le méprisa, et l'insulta, il se mit à la suivre, et à se mêler aux autres, sans comprendre qu'on le haïssait. Il progressa dans sa maîtrise des langues à une vitesse fulgurante. Il était plutôt doué pour apprendre, sans doutes. Malgré ça, il ne prit jamais mal les insultes. Ce n'étaient "que des mots", et il ne comprenait pas véritablement la notion de "bien" ou "mal" dans ceux-ci. Il était même content qu'on l'appelle "Méchant", "Monstre", ou "Idiot", plutôt que rien du tout.
Il n'y avait certainement pas grand chose de plus pitoyable.
Parfois, on lui présentait des produits, des plans un peu dingues d'on ne savait quoi. Il savait alors que ces bonshommes avaient beaucoup de plans pour l'avenir. Ils lui disaient qu'avec lui, ils feraient un bel avenir. Un très bel avenir. Était-ce bien ? Était-ce mal ? Il n'était pas encore en âge de le comprendre...
Les scientifiques ne lui parlaient jamais vraiment. Mais il aimait quand on lui parlait. Même si il ne comprenait pas tout, il aimait les sons. C'était la première chose qu'il ai aimé.
Ivy est vite devenu déficient aux yeux des scientifiques. Peu à peu, il a commencé à hésiter à les suivre pour les expériences, et à se poser des questions sur leur légitimité. Effrayés à l'idée que leur précieux petit cobaye échappe à leur autorité, ils l'ont vite détaché des autres enfants -ou du moins, les rares restants-. Mais rien n'y fit, c'était trop tard : l'enfant s'échappait peu à peu de leur contrôle. Ils eurent beau user de menaces, et le battre pour le dissuader de se détourner d'eux, rien n'y fit. Il se posait toujours des questions. Trop de questions.
Il voulait en savoir plus sur leurs projets. Mais il doutait de ce qu'ils avaient dit. Pourquoi avoir capturé des enfants pour ça ? pourquoi leur avoir fait du mal ?
A ses douze ans, ce qui aurait put être sa dernière année de vie, vu qu'on songeait à se débarrasser de lui, la police humaine a découvert le lieu, et libéré les derniers enfants survivants. Les scientifiques ont été enfermé. Le seul fugitif : Ivy. Ayant profité d'une ouverture, il a littéralement filé entre les jambes des policiers.
Pendant plusieurs jours, et pour la première fois, le petit roux a erré un peu partout, et découvert la vie humaine "normale". Il a put observer les gens, l'activité humaine. Tout était tellement anormal, qu'il a eu très peur. Les gens n'étaient pas enfermés presque toute la journée dans une salle au sous-sol. Ils avaient un nom. Ils n'étaient pas frappés sans cesse. Ils ne savaient pas se battre. Que d'anormalités en somme...
Ayant vite eu faim, soif, et besoin de se reposer, il a dut trouver refuge sous les abris de bus. Plusieurs fois, des adultes se sont arrêtés, disant "appeler la police pour le rendre à ses parents", mais à chaque fois, il s'était sauvé en quatrième vitesse sans comprendre qu'on souhaitait juste l'aider. Souvent, il se servait carrément dans les poubelles pour se remplir l'estomac, se fichant bien de la propreté (la notion d'hygiène lui était d'ailleurs encore inconnue).
Après plusieurs semaines à traîner dans la rue, et à fuir les gens qui l'approchaient, il développa un caractère d'autant plus craintif. L'incompréhension liée à cette population étrange, à l'absence de réponse, et le manque de sommeil eurent vite raison de sa santé mentale bien mise à mal déjà.
Quand il fut finalement attrapé par la police, alors qu'il venait d'agresser un homme qui avait souhaité l'aider, il était devenu vraiment terrorisé par le moindre contact social, pleurait dès qu'on lui parlait, et s'éloignait le plus possible, tremblant. Il faisait beaucoup de crises de panique, et ne se laissait pas toucher.
Il fut ainsi emmené dans un hôpital psychiatrique dédié aux mineurs, dans le but d'en priorité calmer ses crises d'angoisses, et ses autres soucies de sociabilité, avant de l'intégrer à la société.
L'endroit était bien morne. Il n'y avait pas plus de huit jeunes, d'entre onze et dix huit ans. Nombre d'entre eux y étaient pour des envies suicidaires, ou une dépendance à la drogue qui les avait rendus violents. Malgré encore la grande marge de différence avec ce qu'il avait connu étant jeune, Ivy sentit plus d'aise à se laisser un peu approcher par ces autres jeunes, mais évitaient malgré tout de leur parler, tolérant simplement leur présence sans qu'il y ait d'échanges.
Il se montra intraitable avec les infirmières, les assimilant aux scientifiques qui l'avaient retenus, et les psychologues et psychiatres eurent de quoi s'inquiéter pour lui également. Il n'avait pas de nom, il avait le langage d'un enfant de sept ans, il était petit et maigre, il pensait que faire du mal était "normal" etc. Et puis, quand il leur parla des scientifiques, qu'il croyait revenus en la personne des médecins pour encore le frapper, on décida de le bourrer aux neuroleptiques, croyant qu'il divaguait.
Il ne répondait à aucun nom, et refusait qu'on lui en donne, si bien que l'on renonça à le nommer d'une quelconque façon.
A ses treize ans, ayant vu passer plusieurs jeunes de l'hôpital, et ayant bien progressé dans sa socialisation (par le biais de livres qu'un professeur lui avait prêté après qu'il ait apprit à lire, il avait toujours peur des infirmières), l'on commença à plus sérieusement penser à accélérer le rythme, pour l'intégrer à la population avant ses quinze ans. Pensée qui fut vite jetée, quand l'on constata que l'état de l'adolescent se dégradait.
Le nouveau groupe d'interné n'était pas spécialement sympathique, et s'en était prit au petit roux. Celui-ci avait alors recommencé ses crises d'angoisse, et se cachait souvent dans la bibliothèque. S'étant plusieurs fois fait surprendre à dire des choses étranges sur les médecins et infirmiers, il a dut marchander le silence des autres contre son repas, ou son propre silence face aux coups.
Déjà assez renfermé, et malgré les progrès qu'il avait commencé à faire, il régressa donc fortement. Il commença le piano à cet époque, celui-ci se trouvant dans la bibliothèque. C'est par ce biais qu'il rencontra Edwig. Jeune drogué guitariste, il se détacha des autres par son côté protecteur et jovial. Bien qu'un peu stupide, il prit bien vite Ivy sous son aide.
Si les infirmières étaient incapables d'apprendre quoi que ce soit à l'enfant, Edwig parvint avec une certaine facilité à se rapprocher du petit roux. Il lui apprit pourquoi certaines choses pouvaient se révéler biens ou mals. Il doit bien ces rares capacités de communication à cette personne d'ailleurs...
Edwig était devenu quelqu'un de proche. Quelque chose qu'il n'avait pas connu avant. Pour la première fois de sa vie, il comprenait peu à peu la notion d'affection et de confiance. Il jouait du piano, il chantait, il lisait... Sa réinsertion dans la vie normale commençait peu à peu à se concrétiser.
C'était quelque chose de tendre, qu'il y avait entre les deux garçons. Rien de plus que beaucoup d'affection. Ivy était très intelligent, et malgré le fait qu'il n'était pas allé à l'école, il faisait souvent preuve d'une maturité et d'une curiosité qui n'avaient rien d'un retardé. C'était un enfant qui s'interrogeait sur tout, et beaucoup sur le bien, le mal, et la justice également. Il aimait les choses justes, et comme Edwig, avait un véritable amour pour le maintien des idéaux qu'ils partageaient. Il n'était plus "quelqu'un", il n'était plus un numéro, une taille, une couleur de cheveux, ou une appellation grossière. Parce qu'Edwig lui avait donné un nom. Et il n'était désormais plus qu'Ivy...
Et puis, un jour, la police a débarqué, et a signalé que le roux avait agressé des personnes, et, vu que sa condition s'était améliorée, et qu'il avait plus de treize ans, il devait aller expier ses fautes en prison pour lui apprendre le respect de la loi et des autres civils. L'idée de s'éloigner des infirmières ne déplut pas à l'adolescent, mais il était hors de question de quitter Edwig. Quand bien même il en avait été autrefois incapable, il tenait réellement à son camarade. Peut-être plus qu'il ne pouvait se l'imaginer.
La séparation fut terriblement douloureuse. Tellement, qu'il l'avait sentit au fond de lui... ce qu'on appelait "douleur". Et il en souffrit tellement, qu'il crut littéralement mourir de l'intérieur.
Il a passé une année dans le centre de redressement pour mineurs, pas plus. Ses crises de panique sont revenues, il a commencé à montrer des signes évidents de folie, et personne ne l'a véritablement aidé. N'étant capable de lire que depuis très récemment, mais pas de compter, ou d'autres choses, on le classa parmi les déficients mentaux, et le traita comme un parfait imbécile. Il avait prit l'habitude, d'être traité de monstre ou d'idiot. Il le croyait. Là où Edwig et son ancien professeur qui lui avait appris à lire avaient vu une intelligence hors du commun qui n'attendait qu'à être exploitée, l'on obligea l'adolescent à se restreindre à une capacité d'apprentissage trop basse pour lui. La raison de ses crises d'angoisse provient du manque de réponses à ses questions, et du manque d'apprentissage. Un enfant comme lui était trop sensibles à ses propres émotions, et incapable de réfréner ses intérêts, et l'ennui l'avait poussé à être terriblement malheureux.
Les autres "détenus"n'étaient pas tendres avec lui. Il était petit et frêle, ne désirait faire de mal à personne. Il passait son temps à tenter de les aider, avec l'adresse d'un pachyderme dans une verrerie, mais ça partait d'une bonne attention.
Du fait de sa maladresse, de ses quelques difficultés à parler, et de son oeil gauche à moitié aveugle, le pauvre enfant était bien maladroit. Il n'a jamais utilisé la violence contre les autres, ou du moins pas dans l'immédiat... Les autres l'ont plusieurs fois violenté ou humilié. Ils l'ont enfermé dans les toilettes, brûlé à la cigarette, et certains en ayant découvert ses cicatrices dans le dos ont trouvé que c'était une bonne idée que de le brûler à cet endroit. Il n'a jamais dénoncé les autres, quand il revenait en sang, et que les adultes lui posaient des questions. "Je suis tombé", c'était toujours ce qu'il disait. C'était peu crédible, surtout pour les brûlures, mais il restait muet. Il songeait à Edwig, qui aurait été très en colère si il avait causé des ennuis à ces personnes... Enfin, il pensait qu'il l'aurait été.
Il aurait put continuer comme ça. Il aurait put demander aux autres si ils allaient bien et se faire malmener encore plus. Il aurait put être encore plus malheureux. Il l'a été bien plus. Il l'a été bien plus, quand le personnel des lieux l'a trouvé en pleur, recroquevillé à moitié nu sur le sol des toilettes, caché sous un lavabo, avec des marques de bleus et de suçons atroces. Il n'a dénoncé personne. Il a arrêté de parler. Il n'a plus pleurer. Il est resté en état de choc, muet, immobile, durant des jours, comme si son âme l'avait quitté à la suite de cet incident. Il était un monstre idiot, et il avait été encore plus souillé.
Plusieurs fois par la suite... Plusieurs fois ils ont recommencé. Et cette douleur, cette honte, il est encore incapable de l'oublier.
Il a fuit les autres, autant qu'il a put. Il a craint que l'on recommence. Il s'est retenu de pleurer aux moqueries. Il a pensé très fort à Edwig, qui aurait souhaité qu'il garde la tête haute, quand ils s'étaient mis à ricaner "Il est gay, il est gay, regardez". Il ne comprenait pas ce qu'ils disaient, mais c'était sûrement méchant. Il a pensé à la petite fille qu'il avait suivit étant petit. Est ce que c'était normal ce qu'il vivait ? Est ce que c'était seulement normal...? Est ce qu'il l'avait vraiment mérité ? Qu'avait-il fait de mal au départ pour mener cette vie ?
Une nuit de juillet, son pouvoir s'est déclenché. Il est arrivé comme ça, alors qu'un de ses quo-détenu allait le violenter. Il en a assassiné cinq. C'était fatiguant. C'était douloureux. Et il avait perdu presque tous ses sens. Il n'entendait plus rien, ne sentait plus rien, et c'est seulement avec sa vue qu'il s'est enfuit.
Il n'était pas heureux de les avoir tué. Ce n'était pas vraiment volontaire. Ce n'était même absolument pas volontaire. Mais la liberté, et le besoin de s'éloigner de cet endroit si douloureux avaient pesé sur son cœur tellement fort, qu'il n'avait résisté à l'appel du ciel étoilé. Dès lors, il chercha à s'éloigner le plus loin possible, et s'écrouler loin, loin dans les bois, en espérant que l'on ne le trouverait pas...
Il a cherché à retrouver Edwig, sachant que celui-ci serait sûrement sortit de l'hôpital psychiatrique depuis le temps. Il a tenté de par lui-même calmer ses crises d'angoisse. Il ne se laissait plus toucher, ne parlait à personne lui adressant la parole, et devenait curieusement violent lorsqu'on insistait. Fuyant la police à tout prix, il n'allait de lui même converser avec personne d'autre que lui. Il était seul. Et il savait qu'il le serait toujours tant qu'il n'aurait pas trouvé Edwig.
Il avait quinze ans, quand il a retrouvé Edwig. Ou du moins, Edwig l'a trouvé. C'est Edwig qui l'a interpelé, un matin. Qui n'a pas sourit. Qui n'a pas été heureux de le voir. Était-ce étrange ? Ivy n'en savait rien.
Ivy ne savait pas ce que pensait Edwig. Ni ce qu'il contait faire. Il voulait juste revoir Edwig. Rien de plus. C'était ce qui le rendait heureux. Ou du moins, il le pensait. Il le pensait jusqu'à ce que cette personne qu'il appréciait tant a tenté de le tuer. Jusqu'à ce qu'on lui donne un coup de couteau, qui n'avait pas pour but de simplement lui faire mal.
Il n'a pas compris. Il a pensé à Edwig tout ce temps. Il voulait le voir, et lui dire qu'il avait fait tout comme on lui avait dit. Mais Edwig l'avait trahi. Edwig a tenté de le tuer. Et tout ce sang, qui s'écoulait de sa plaie, c'était soudainement si douloureux... Comme si avec ce sang, on avait achevé de le tuer de l'intérieur.
Il s'est réveillé un matin, dans la maison d'une vieille dame, qui l'aurait apparemment ramassé alors qu'il était aux portes de la mort, avec à son chevet un monsieur en blouse blanche. Il aurait voulut fuir, terrorisé par cet homme -n'oublions pas que la blouse blanche ne lui rappelle rien de bon-, mais il avait si mal... Il n'avait plus rien à croire. Il n'avait plus rien à faire. Il avait le cœur brisé en morceau, déchiré comme si il avait été aussi fragile que du papier. Ce n'était pas tant sa blessure, qui lui faisait mal, ni les maux de tête, et la fièvre terrible qui l'assaillait. C'était juste son cœur. Juste pour ça, il avait envie de mourir. Pour qu'Edwig soit heureux.
Il a apprit qu'il était dans le coma depuis des mois. Qu'il avait végété entre la vie et la mort pendant tout ce temps, et que rien ne l'avait ramené. Qu'on n'avait plus voulut de lui à l'hôpital, mais que la vieille dame qui l'avait recueillit avait insisté pour le garder sous soin à son domicile.
Il était reconnaissant, pour qu'on ait fait attention à lui. Mais il voulait encore si fort mourir... Il avait quinze ans seulement, c'était cruel de penser ça. Mais un idiot monstrueux et si sale avait il le droit d'effleurer le bonheur réservé aux êtres purs ?
Il mit plusieurs jours, à entièrement récupérer ses souvenirs, et à se remémorer la tentative de meurtre d'Edwig. Et ses paroles "Tu as tué mon frère. Tu l'as tué. Je le savais, que tu faisais partie des leurs. Sale bâtard ! Tu m'a bien berné ! T'étais qu'un assassin ! Un put*in de psychopathe !" Il aimait toujours Edwig. Oh oui, il l'aimait beaucoup, trop même. Mais lui, il le préférait mort.
Il avait jeté un regard par la fenêtre, tandis que la vieille dame et le médecin entraient dans la pièce. Il n'avait pas sourit, avait murmuré un presque inaudible "pourquoi".
La vieille dame avait simplement soupiré.
"Mon fils est mort en Syrie, mes petits enfants ne viennent plus me voir. Je suppose que je me sentais aussi abandonnée que toi" avait simplement dit la grand-mère.
Elle avait posé un regard si gentil sur lui, qu'il en avait pleuré. Oui, il était abandonné, comme elle. Il n'avait personne, nul endroit où aller. Il n'avait plus rien à croire. Il avait refermé les yeux, tandis que la vieille main ridée de la dame avait doucement pris la sienne, et que le médecin avait simplement posé un papier sur la table.
A ce moment là, il s'était un peu relevé, et avait murmuré un "merci" sincère. La vieille avait sourit. Il avait voulut penser les plaies de cette dame. Il avait voulut si fort qu'elle ne souffre plus. Et puisqu'il ne lui restait rien, il n'avait plus qu'à abandonner sa vie misérable à ce pourquoi les autres en avait besoin.
Si sa santé se dégradait souvent, il n'en avait rien à faire. Et quand le médecin disait qu'à force, il finirait par chopper quelque chose de grave et mourrait, il n'en pensait pas plus.
Des années qu'il pouvait lui rester, Ivy n'en avait rien à faire. Ce n'étaient que des chiffres, et ils ne comptaient pas. Il ne comptait qu'en douleurs et en cicatrices. Le jour où son cœur arrêtera de battre, il saura qu'il sera mort. Le temps qu'il restait ne valait rien.
Il a plusieurs fois refusé la lettre du pensionnat Naishou, qui lui était parvenue on ne sait comment. Mais il fut bien vite forcé par des mages qui l'ont repêché alors qu'il traînait dans la rue.
Pourquoi ? Il n'en sait rien. Il est perdu. Dans le noir et le flou. Et il est incapable de savoir où il doit aller.